◭ GAËL CARLIER w/ aidan turner
gaël, 24 ans.
« C'est quoi ces conneries ? » Plainte du patriarche. Ou du moins, j'aurais préféré qu'il en soit ainsi. Il me fixe avec ses deux grands yeux, l'air furax, les bras croisés sur son torse. Moi, simplement assis sur le pas de l'escalier, une cigarette entre les lèvres, je me doute de la raison de sa venue. On ne fait pas venir le grand Jules Faye pour rien. Tout est à la ramasse, au ralenti. Il en connait les raisons, moi aussi. Grognant un peu, caché derrière cette fumée qui grimpe dans les airs, ma main libre glisse dans mes cheveux alors que j'ajoute, décidé. « J'en ai pas b'soin. » Bien sûr que si, ma tête en a besoin, mon coeur aussi, mon âme a besoin d'être lavée, jetée pour mieux revenir forte. Pourtant, il n'est pas tombé sur le bon psychologue. Je ne demande pas le plus grand, encore moins le plus fort, juste une oreille qui veut bien m'écouter. Le prénom m'a glissé dans l'oreille tout doucement, un souvenir, quelque chose de flouté, d'un peu maladroit. Tout m'est retombé comme une évidence en voyant son visage, ses prunelles vertes et profondes. Le monde est petit raconte un vieux type, très petit. Si je savais que j'allais tomber sur un fantôme, peut-être que je n'aurais pas décidé de réagir ainsi. Peut-être que je me serais terré sous terre, peut-être que... je n'en sais rien. Tout se mélange, un peu de joie et aussi ces deux séances qui se sont terminées en des bavardages de ma part. Qu'est-ce qu'il est devenu, ce qu'il en est de sa vie sentimentale. Une tristesse qui inconsciemment s'installe en moi. Les souvenirs ne sont pas vraiment bon, la mémoire préfère à me jouer des tours. Tout ceci est loin, derrière moi. Le passé doit rester là où il est. Jules pose ses deux fesses à côté de moi tout en me volant ma cigarette. « Te fous pas d'moi Gaël. Tu bouffes plus, tu dors plus, t'as perdu un truc. J'veux pas que tu fasses de connerie. Leandre, tu sais ce qu'il penserait de tout ça. » Il n'aurait pas aimé, il m'aurait collé une droite en plein dans la joue, sans ménagement. Faiblir ce n'est pas digne de Spleen qu'il disait, vraiment pas bon. Grimaçant un peu, je triture avec nervosité mes doigts tout en laissant ma tête tomber en arrière. Regard rivé sur les nuages inexistants, je murmure. « Je veux pas de ce psy. » Si ce n'est pas Leandre qui s'occupera de mon cas, ce sera Jules et vice et versa. Dans cette petite famille, il y a toujours un regard pour vous dire qu'il faut vous relever, pour vous mettre un coup de pied là où ça fait mal. Faire lever votre tête, et redonner des couleurs à votre vie. Sa morale je la connais, elle me traverse les tympans et passe inaperçue aux yeux de mes cellules nerveuses. « C'est le meilleur dans le domaine. Alors tu fermes ta grande bouche, que ça te plaise ou non tu iras. » Il n'est pas comme les autres, il n'est pas avide. C'est un père qui surveille ses gosses, si j'ai été le plus touché par le décès de notre vedette, au bout du compte, il n'a pas été indifférent. Sûrement celui à rebondir le plus vite, à essayer de nous redonner le sourire, lui rendre hommage autant qu'il le pouvait. Peut se montrer en tant qu'une pourriture juste bon à laisser mourir sur le bitume, mais au fond, c'est un homme bien, un homme bon, qui sait à faire la part des choses, sait quand réagir et se taire. « Je veux que tu ailles bien, je veux que notre gitan puisse à nouveau mourir de rire avant un concert, qu'il reprenne du poil de la bête. Si tu veux pas le faire pour moi, fais le pour lui, pour eux, pour ceux à qui tu tiens. » Trop vite se relever serait une malchance pour ceux qui écrivent dans ce magazine. C'est toujours d'un oeil méfiant que je le vois dans les kiosques, ou même jeté sur le sol. Ils essaient de nous mutiler, de nous casser comme des vieux jouets. Leandre a été le sujet de conversation le plus flagrant ces derniers moi, et puis, ils sont tombés sur moi. Des photos flagrantes d'un homme fatigué, marqué par des cernes, préférant rugir au lieu de parler en tout bien tout honneur. Mon front se pose entre mes deux mains. Fatigué de tout et de rien. Il a fallu qu'il tombe sur le meilleur, et il a fallu que ce meilleur s'avère être ce point d'interrogation grandissant qui me hantait durant l'adolescence. Ce colocataire de chambre, original par sa façon de voir les choses, différente de la mienne, ses paroles bourrées d'un sens à vous en décrocher la mâchoire. Ce visage aux traits fins, cette oreille sans cesse tendue. Cette main attendant qu'une autre la prenne. Je suppose que je n'ai plus le choix, que mes doigts devront croiser les siens, qu'il devra tout savoir sur ma vie. Mes amis, mes amours, mes emmerdes qui pourtant ne passent pas invisibles face à ceux qui suivent les ragots. Je suis une machine, je suis un robot lancé dans l'arène. Mécanique, ce seul rouage, qui se met à rouiller, il compte bien me faire craquer, exploser de l'intérieur. L'aiguille de mes jours plantera sa pointe dans le milieu de mon coeur. Mais, ce n'est pas grave. Parce que ce jour-là, je n'aurais plus mal.

Gaël et Jules, il faut croire qu'ils se sont bien trouvés. Tout deux grandes bouches, tout deux accrochés à des principes qu'ils tiennent, c'est simple, Jules a été d'une grande aide durant la dépression du guitariste. C'est une histoire de respect mais aussi d'une certaine admiration. L'un pour sa manière de jouer, et l'autre pour sa manière de gérer les histoires. Si le décès de Leandre a été une claque dans la figure de tous, Gaël l'a très mal vécu et même à ces jours, des doutes persistent. Trop dissipé, trop à côté de la plaque et malgré les remontrances du manager souffleur de feu, rien n'y fait réellement. Il y a anguille sous roche comme il aime à penser. S'ils se complètent d'une certaine façon et se voient comme des frères, il y a parfois des instants où tout peut couler, se casser royalement la figure. Et pourtant si Jules savait la raison de cette tête ailleurs et cette dissipation, il n'en serait pas ravis.

◭ LOU BERNARD w/ ben whishaw
Deux personnalités différentes, deux rêves parfaitement contraires, et pourtant une seule chose a su lier les deux garçons. L'argent et surtout papa, maman. Jules se souvient de Lou comme un personnage très renfermé, surtout quand ils étaient plus jeunes - on ne peut pas dire le contraire, ils se connaissent depuis pas mal d'années, mais faute d'intérêts communs, rien ne s'est passé. Pourtant, c'est suite au décès du père de Jules que quelque chose s'est déroulé. Lou a été la seule oreille à l'écoute, qui a tenté de cerner ses principes et surtout, le faire craquer - lui qui ne voulait pas se laisser aller, chose faite grâce au jeune homme. S'il lui a de suite conseillé de se transformer en psychologue, la surprise ne fut que trop grande en apprenant que Lou avait déjà dans l'idée de faire son propre cabinet. Voilà près de six années qu'ils se côtoient, sans pour autant se considérer comme des personnes trop proches. Ils s'apprécient certes, et surtout, Jules ne lui rend que trop de coups de mains. La plupart de la clientèle de Lou lui vient du manager, qui n'hésite pas à mettre entre ses mains ses "enfants" comme il aime à le dire. Un échange de bons procédés, en somme.